Terres d abandon 2

L’exode

Depuis le milieu du dix-neuvième siècle de nombreuses fermes, des hameaux entiers ont disparus du département des Hautes-Alpes.
La commune de Clausonne a été la première a être rayée de la liste.
Situé dans la haute vallée de Maraise petit torrent affluent de la vallée du Buëch ce village a compté jusqu’à une centaine d’habitants peu après le révolution française.
Pour l’atteindre un méchant chemin franchi une gorge étroite le Gouravour, exposée aux chutes de pierres, et remonte sur deux kilomètres le torrent cascadant entre les falaises de calcaire.
Le nom du village : Clausonne (étymologiquement clauson, lieu clos) indique sa situation au centre d’un cirque montagneux dont le plus haut sommet est la Cime d’Aujour, 1834 mètres.
Ce creux de hautes collines très ouvert à la bise (vent du nord) est froid et enneigé tout l’hiver et malgré sa situation géographique quasiment provençale le climat y est très montagnard !
En ce lieu retiré existe depuis le douzième siècle, à l’époque où le christianisme s’impose en occident et que la France se couvre d’un  “ blanc manteau d’églises ”, une Abbaye qui appartient à l’ordre de Chalais. (le monastère fondateur se trouve en bordure du massif de la Grande Chartreuse, à sept kilomètres de Voreppe, Isère).
Elle fut à la fois fille et copie conforme de “ Notre Dame de Lure ’’ elle même fille de l’Abbaye de Boscodon dans l’embrunais.

notre Dame de Lure dans les Alpes de Haute Provence, l’Abbaye de Clausonne était identique

Les moines fondateurs sont venus profiter de l’isolement de ce site afin d’y méditer et prier sereinement.
Ils ont probablement participé activement à sa construction, puis sont devenu pâtres et bûcherons en plus de leur vie monastique.
Majestueuse sont rayonnement perdurera pendant près de quatre cents ans, puis hélas fut incendiée et pratiquement détruite en 1573 par la colère protestante des guerres de religions.
Pratiquement un siècle plus tard, en 1662,  partiellement restaurée par un toit de chaume elle est de nouveau la proie du Duc de Savoie  lors de l’invasion du Dauphiné et de la Provence.
En 1712 le coeur sera reconstruit un mètre au dessus du sol primitif sur les décombres résultants des deux destructions.
Elle servira d’église paroissiale pendant le dix-huitième siècle, plus tard un local y sera aménagé pour la mairie et l’école, puis elle finira en bâtiment agricole jusqu’en 1948.
Autour d’elle plusieurs maisons groupées forment le centre du hameau, d’autres fermes disséminés plus haut dans la vallée et sur le plateau de  Peyssier complètent la commune.
En 1857 une tentative de fabrication et de commercialisation de charbon de bois tiré des forêts de hêtres alentour ne fut pas un grand succès…

L’agriculture traditionnelle et l’élevage de moutons n’arrivant  plus à nourrir ses habitants le village fut rattaché à la commune du Saix en septembre 1888 et occupée encore sporadiquement par une seule famille d’irréductibles jusqu’en 1948.

le peu qu’il reste de l’Abbaye

Au confluent des torrents du Peyron et de la muande la petite commune de Molines en Champsaur connaît bien des difficultés dans la même période.
Des inondations catastrophiques ont dévasté la vallée plusieurs fois de suite, les chemins d’accès ont été coupés en plusieurs endroits, beaucoup de terrains cultivables sont partis dans les eaux en furie.
Le débordement du Peyron a partiellement engravé le village et endommagé plusieurs maisons.
Au milieu du dix-neuvième siècle les quatre hameaux de fond de vallée, Londonnière, les Boyers, le Roy, le Sellon sont encore tous habités malgré les conditions rudes.
Vers la fin du siècle il reste une centaine d’âmes sur les cent soixante dix que comptait la commune en 1850; la substance vive de cette terre montagnarde s’épuise au fil du temps…
Comme les hivers sont très enneigés de gigantesques avalanches dévalent les couloirs et coupent la vallée, isolant un peu plus ses habitants. L’une d’elle en 1915 dévaste le hameau du Sellon et oblige la dernière famille à quitter les lieux…
Le bout de la vallée ne sera jamais plus habité.
1914 et 1928 de nouvelles crues emportent encore un peu plus de terres arables et finissent de démoraliser les derniers obstinés.
Finalement en 1931 alors qu’il n’y a plus que 22 résidents à Molines un arrêté préfectoral rattache ses 4164 hectares d’espace montagnard à la commune de la Motte en Champsaur.
Au vingtième siècle et pendant de nombreuses années deux réfractaires profondément enracinés sur ce terroir ont entretenu la flamme du souvenir et n’ont jamais quitté le village.
L’un d’eux, Emille Escalle, paysan et dernier violoneux du Champsaur est décédé en 1987 à l’âge de quatre vingt sept ans. Il repose dans le petit cimetière communal à cinquante mètres de la maison où il a passé toute sa vie !
Sa fille Hélène vit toujours à la Motte en Champsaur. (2013)

la vallée de Molines, novembre 1999

L’histoire de la petite commune de Chaudun est sans doute l’exemple le plus significatif de la désertification des hautes campagnes du département.
De Gap se rendre à Chaudun comme cela se pratique à l’époque implique une longue marche de vingt kilomètres. Il faut pas moins de quatre petits cols (Bayard, Gleize, Milieu et Chabanottes) , avant d’arriver à destination ; autant dire tout de suite que pendant la mauvaise saison les habitants y sont reclus de longs mois sans possibilité de retraite.
Le village est construit dans un creux de roches tourmentées où coule le petit Buëch naissant ; une vingtaine de masures tournées vers l’orient, alignées comme à la revue le long du torrent.
L’église et le cimetière leur font face, l’école est au milieu du bourg, le moulin en aval au bord du ruisseau.
De la révolution française au milieu du dix-neuvième siècle sa population a oscillé entre 135 et 170 habitants.
Les chauduniers sont des gens courageux à la besogne mais le pays appauvri depuis des générations par le sur-pâturage n’arrive plus à les nourrir.
De plus, les impôts d’état et les redevances au clergé propriétaire foncier des parcelles boisées et de divers pâturages finissent de les démoraliser.
Le 28 octobre 1888 se déclarants “ vaincus par la misère ” par le biais d’une pétition ils adressent au gouvernement un cri de détresse pour obtenir les moyens de quitter leur contrée invivable et d’émigrer tous ensembles vers la France africaine du moment.
A près cette demande les autorités compétentes ne vont pas beaucoup faire preuve de célérité ni d’humanité avant que leur voeux se réalise… Il faudra trois années avant que l’espoir vienne de l’administration forestière qui reconnaît “ l’utilité et la convenance du terrain pour le reboisement ”.
Huit ans plus tard, fait sans précédent la vente à l’état de tous les terrains privés et publics de la commune se réalise le 6 août 1895 pour la somme de 180000 francs et Chaudun est désormais rattaché à la commune de Gap.
Son dernier habitant est parti en 1902.

village disparu : Chaudun, haute vallée du petit Buëch

Ces trois exemples ne sont qu’une infime partie du vaste processus de désertification de cet espace agricole haut perché, bien d’autres villages du Bochaine, du Dévoluy, du Valgaudemar ou du Queyras ne sont plus.

Que sont devenues ces terres abandonnées ?
Dans la plupart des cas le reboisement envisagé a eu lieu, l’administration forestière puis ensuite la toute nouvelle ONF a fait procéder à la plantation de millions d’arbres pour stabiliser et mettre en valeur les pentes gagnées par l’érosion.
Faute d’entretien les constructions se sont écroulées.
La nature a rapidement digéré les aménagements humains, après quelques décennies d’une ferme il ne reste qu’un tas de pierres, un point sur une carte, le pointillé d’un antique sentier, et le nom d’un lieu dit… C’est tout !
Seuls témoins du souvenir les ruines s’enveloppent de ronces et du mystère de leurs origines et aiguillonnent la curiosité du passant…
L’oubli s’installe très vite !
Que sont devenus les hommes ?
Pour la plupart ils sont restés au pays, plus bas dans la vallée plus fertile où la vie est moins difficile, et le froid moins vif.
Les mieux lotis à force de privations ont acheté une petite exploitation et s’y sont installés continuant leurs vies d’agriculteurs tandis que les plus humbles sont devenus valets de ferme, (domestique comme on les appelait à la campagne).
Les autres sont parti… certains se sont embauchés aux grands travaux de l’époque : routes et chemin de fer, d’autres ont gagné la Provence pour garder des troupeaux qui ne leurs appartenaient plus…
Enfin les derniers pour survivre se sont expatriés loin…très loin : Argentine, Mexique, États-Unis, Canada.
Pour eux qui connaissaient à peine leur chef lieu de canton partir de l’autre côté du monde relevait de l’exploit ; un saut dans un inconnu inimaginable !
Une fois leur “ Eldorado ” atteint ils sont redevenu bergers, vachers, se sont improvisés chercheurs d’or ou commerçants, ont fondé des familles, des villages tel ce dénommé Gueydan originaire du Champsaur, fondateur de la ville de Louisiane qui porte son nom.
Mais tous n’ont pas fait fortune, loin s’en faut…et beaucoup même n’en sont pas revenus !
Les Chauduniers qui rêvaient de fonder tous ensemble  un autre petit village quelque part en Algérie, ont changé d’avis, une fois leur petite communauté démantelée chacun a pris son chemin…

Après ce mouvement d’immigration important vint la première guerre mondiale qui fit 3763 victimes dans le département des Hautes-Alpes  plus les nombreux blessés amputés, gazés et malades.
Enfin comme un malheur n’arrive jamais seul l’épidémie de grippe espagnole emporta 1250 personnes de juillet 1918 à mai 1919 et laissa le pays exsangue !
Ces deux calamités confondues sonnèrent le glas du peuplement des hautes terres, des vallées alpines et d’une manière plus globale portèrent un rude coup à l’ensemble des campagnes françaises.
En 1921 il ne reste que 89255 habitants dans le département et 85000 en 1946 !

Bibliographie:
Les Hautes-Alpes hier aujourd’hui et demain Pierre Chauvet et Paul Pons année 1975.
Un site chalaisien au coeur du Buëch : Association des amis de l’Abbaye de Clausonne.

 

 

village disparu : Chatillon le désert, Buëch

 

 

village disparu : Navette en Valgaudemar

 

février/mars 2013

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