Terres d abandon 1

Ceux de la montagne

En l’année 1846 date de recensement national le département des Hautes-Alpes compte 133000 habitants, à peu près autant qu’en 2009 !
La population rurale y est à son apogée, environ 85% des gens vivent à la campagne…
Le moindre arpent de terre est mis en valeur…
La forêt a beaucoup reculé sous l’assaut dévastateur de l’élevage caprin.
Comme l’attestent les photographies d’archives datant du début du vingtième siècle les versants sont incroyablement pelés et le ravinement gagne de nombreuses pentes.
Bien loin des vallées fertiles de nombreuses chaumières isolées et de pauvres villages perdus aux creux des vallons assurent tant bien que mal la subsistance de leurs habitants.
Les sentiers muletiers, véritables artères de ces terres difficiles permettent d’y accéder; on marche beaucoup à cette époque, non pas pour le plaisir mais pas nécessité.
L’habitat traditionnel est sommaire.
Les bâtisses aux ouvertures rares et étroites sont couvertes bas de chaume, sous leurs voûtes de pierres bêtes et gens se partagent l’espace : une majeure partie pour l’étable, le reste pour les humains où la cheminée largement ouverte donne parcimonieusement chaleur et lumière.
Dans la pièce à vivre principale, la seule chauffée, la vie s’organise autour d’une grande table massive et d’un bahut vaisselier.
Le reste du mobilier est simple et rustique : pour le linge et les vêtements une armoire et des coffres de bois brut qui font usage depuis plusieurs générations.
Les femmes cuisinent dans l’âtre et vont chercher l’eau à la fontaine…
Pour se tenir chaud les enfants dorment à plusieurs aux creux de paillasses de feuilles de fayard…
Bref le dénuement est légion au sein de ces masures sans confort !

                                                                            village disparu : le Clot en Valgaudemar

Sur ce terroir ingrat la nourriture ne tombe pas du ciel, il faut énormément de travail pour peu de récoltes…
De minuscules parcelles épierrées sont destinées à la culture du seigle, la seule céréale qui daigne pousser sur ces terres froides.
Le potager produit peu à cause de l’altitude ; pommes de terre, choux, navets, carottes sont conservés à la cave pendant toute la mauvaise saison et constituent avec une large tranche de pain noir le plat principal de toute la maisonnée.
Les chèvres fournissent lait et fromage, une vache est un luxe que beaucoup ne peuvent se permettre !
La viande est rare, les bonnes années l’élevage d’un porc améliore énormément l’ordinaire : conservé salé et cuit bouilli il constitue une grande part des repas de l’hiver.
La faune sauvage assure elle aussi une part de l’alimentation.
La chasse ne se pratique pas comme de nos jours pour le plaisir égoïste de tuer mais seulement pour le besoin vital de se nourrir…
Certains seulement possèdent une arme à feu, cependant une charge de poudre et de plomb constitue une dépense bien conséquente… alors chacun réfléchit à deux fois avant de s’en servir !
Occasionnellement l’un ou l’autre tue un sanglier ou un chamois’’ à l’espère (affût) en assurant le succès de son tir.
En revanche les habitants de ces terres reculées qui vivent en symbiose étroite avec la nature maîtrisent avec beaucoup de brio l’art du piégeage, pour le malheur de nombreux lièvres, perdrix rouges, bartavelles, tétras-lyre qui abondent à cette époque.
L’hiver sur l’alpe certains déterrent les marmottes pour cuire un civet tandis que d’autres dans les contrées déjà plus provençales du bas du département pratiquent la lecque (la lecque ou tendelle est un piège rudimentaire à grives : sous une pierre plate tenue en équilibre à l’aide de bâtonnets on dispose des baies de genièvre .
L’oiseau en se posant fait tomber la pierre et y reste coincé)

                                village disparu : les Pennes en Valgaudemar

La seule richesse matérielle de ces paysans est un petit cheptel de moutons et chèvres qui est gardé pendant la journée et rentré tous les soirs dans la bergerie parce que les grands prédateurs rodent encore entre montagnes et forêts.
Deux ou trois fois l’an au moment des foires  ces éleveurs partent dans la vallée pour négocier agneaux et chevreaux, et en profitent dans la mesure de leurs faibles moyens pour faire les achats indispensables à leur existence : sel, outils, chandelles, chaussures, vêtements.
Pour ces hommes résignés depuis des années a leur condition de vie pitoyable ces rares déplacements sont l’occasion d’entrevoir un monde moins rude que celui de la terre sauvage qu’ils occupent…
A cette époque qui est la fin de la période que l’on a appelé le petit âge glaciaire les hivers sont interminables !
Le gel, la neige et les avalanches forcent à un isolement complet…

                                               avalanche Molines 20 février 1999

Sous cette chape de froidure les activité sont réduites : les hommes fendent le bois de chauffage, s’occupent des animaux et entretiennent leur matériel agricole tandis que dans la tiédeur toute relative de l’habitation les épouses préparent la soupe et filent la laine au rouet ou à la quenouille.
Les jours de tempête sont les plus difficiles, la crainte du pire s’installe autour du feu où toute la famille se regroupe en espérant des jours meilleurs…

La douceur du printemps venu la lutte continue encore et toujours pour tirer du sol sa subsistance ; les journées harassantes se succèdent pour les fenaisons ; le foin et coupé en altitude et descendu à la trousse (large pièce de toile de jute dans laquelle se transporte la charge) sur le dos du faucheur !
Pour ce qui est des moissons…Bien sûr tout se fait à la faucille, à la faux et à la sueur de son front !
Une fois les récoltes engrangées l’automne est consacré à l’arrachage des pommes de terre, à l’abattage et au transport à dos de mulet du bois de chauffage que l’on va souvent chercher fort loin vu sa rareté !
C’est aussi la saison où on fait la feuille, c’est à dire que l’on élague les  haies pour confectionner des fagots : rangés debout dans la grange ils vont sécher rapidement et serviront à nourrir le bétail une partie de la longue saison hivernale tout en économisant la précieuse réserve de fourrage.
Les restes des branchages une fois consommés par les chèvres et les moutons serviront à cuire une fournée de pain sous la voûte du four communal.
Rien ne se perd !

Pour ces paysans montagnards le labeur ne manque pas et il reste peu de place pour la contemplation de leur coin de terre qu’ils aiment sans concession mais qui les opprime chaque jour un peu plus !
Comme les familles sont nombreuses et la faim omniprésente en particulier les années de mauvaises récoltes beaucoup commencent à songer sérieusement au départ…

    village disparu : le Roy, Molines en Champsaur ( photo Simon Saint Bonnet )

 

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