Petites histoires du Bochaine

En guise de préambule : quatre précisions.

Bochaine, Biochana au moyen âge, vient du latin Biochium ou Biochum : Buëch ; l’orthographe francisée Beauchêne, bien qu’en usage est parfaitement inadaptée.

Une autre bizarrerie :

 Le Bochaine correspond à la haute vallée du grand Buëch dont par un découpage administratif surprenant a été détaché la commune sommitale de Lus la croix haute qui lui appartient indiscutablement sur le plan géographique et d’une manière encore plus évidente sur le plan économique, puisqu’elle n’est reliée avec son département la Drôme, que par le difficile col de Grimone, alors qu’elle a des liaisons extrêmement commodes par la route d’hiver des Alpes et par la voie ferrée, avec le département des Hautes Alpes.

Pierre Chauvet et Paul Pons : les Hautes Alpes huer aujourd’hui et demain, éditions Louis Jean Gap, année 1975.

Mon récit est ordonné au fil de l’eau et non de manière chronologique.

Vous trouverez une carte des lieux à la fin de petites et grandes histoires du Bochaine .

Le grand Buëch prend naissance sur la bordure ouest du massif du Dévoluy.
L’inextricable structure géologique de ce versant, d’une épaisseur de plus de mille métres, rejette plusieurs sources étagées sur différents niveaux.
La plus haute perchée, résurgence du petit lac du Lauzon, s’écoulant sur une forte pente sur près de quatre cents mètres de dénivelé, et celle de la Laicinette dans le ravin du Fleyrard peuvent être considérées comme les sources principales du grand Buëch.
C’est en ces lieux que commence la première histoire.

L’ascension

Dix aout 1880, sept heures quinze, quatre hommes atteignent l’oeil bleu de l’alpage.
Deux sont du pays, embauchés comme porteurs ; les autres, Henri Ferrand et un camarade montagnard de passage à Grenoble, sont venus pour gravir le sommet du grand Ferrand.
Henri souris malicieusement… Ferrand au grand Ferrand, en quelque sorte une excursion sur son domaine…
Ils sont arrivés à Lus la croix haute , hier, par le train et la toute nouvelle ligne ferroviaire du PLM Grenoble, Veynes inauguré deux ans plus tôt et ont dormi à l’auberge Armand.
Ce matin, partis de nuit, ils ont effectués les huit kilomètres de trajet jusqu’au terminus de la route carrossable à l’aide d’une carriole à cheval.
La lumière diaphane du matin inonde le vallon où ils se reposent et se restaurent, il fait doux, le ciel est sans nuages, idéal pour gravir cette belle pyramide calcaire des
Alpes du sud.
Vers huit heures trente, ils sont au col du Charnier, et mettent vraiment pied en Dévoluy.
Pour mieux apprécier la vue sur le vallon qu’ils viennent de remonter  en une demie heure ils se hissent sur la tête du Lauzon.
Henri Ferrand, fin érudit montagnard raconte :

 C’est en ce point que se rejoignent les trois départements dauphinois, et la légende rapporte qu’au commencement de ce siècle, les préfets de l’Isère, de la Drôme et des Hautes Alpes y déjeunèrent ensemble, assis chacun dans son département respectif.

La marche se poursuit, direction nord, toujours dans les mêmes éboulis sonores et monotones, parsemés de touffes de renoncules des glaciers, de saxifrages et de linaires ; ici, à part quelques rares chamois ou moutons égarés, il ne passe jamais personne.

Vers le sommet la pente se redresse et atteint enfin la crête de l’étoile.
Il continue le récit de leur progression :

 Ici, changement de décor ; nous nous trouvons en présence d’un coup d’oeil des plus pittoresque : le dernier sommet composé d’assises calcaires ruinées et désagréables, forme comme un immense escalier dans lequel sont taillés au hasard d’une fantaisie de cyclope des obélisque découronnés, des tours branlante et des abîmes effrayants.

Extraits de : Les Alpes et les grandes ascensions, E. Levasseur, librairie Delagrave,
Paris 1889.

À onze heures quarante ils sont au sommet et vont y passer deux heures absorbés par leur contemplation.
Leur descente s’effectue par le même itinéraire et trois heures et demi plus tard ils retrouvent le cheval reposé qui les emmènent au grand trot à travers bois et pâturages vers le village de Lus.
Une longue et belle journée en montagne.
Cette année là, Henri Ferrand avait vingt huit ans, avocat brillant, membre du club Alpin Français puis de la société des Touristes Dauphinois, il passa toute sa vie à sillonner les montagnes, à les photographier et à écrire des ouvrages à leur sujet.
Il s’est éteint à Grenoble le 26 mars 1926, à l’âge de soixante treize ans.

Au sortir du ravin du Fleyrard le torrent devient rivière, le petit village de la Jajatte surplombe son cours.
C’est là, au coeur de l’hiver quand la tempête a plâtré les aiguilles de Lus que le spectacle atteint le sublime : vision furtive de bout du monde, glace a tout les étages, forêt givré et fumées blafardes du hameau où bêtes et gens courbent l’échine sous la froidure !
En aval, le grand Buëch grossi du riou froid et du Lunel roule ses galet sur cinq kilomètres avant du franchir la limite du département de la Drôme et devenir haut alpin.
Deux kilomètres plus bas conflue rive droite un nouvel affluent sérieux : la Vaunierette.

La vallée noire

Dès le douzième siècle des moines y sont venus bûcheronner.
Après avoir essouché les terres conquises sur la forêt et mis les terrains en culture, il faudra plusieurs centaines d’années pour que cette terre en gestation s’organise et enfante finalement le hameau de Vaunières : vaux nière : vallée noire, probablement en raison de l’importance de son boisement.
Difficile de connaitre le détail de la vie des humbles métayers face à l’âpreté de la nature et de leurs maîtres…
Envers et contre tout, les caprices climatiques, la terre rétive, les maladies, les guerres, les bêtes sauvages, de nombreuses générations de forçats de la terre s’y sont incrustées et succédées.
Le poème qui suit illustre à merveille leur vie :

La vie misérable du paysan

Il a bien du travail et peine :
Au meilleur jour de la semaine,
il sème seigle, il herse avoine.
Il fauche prés,il tond la laine.

Il fait palissades et enclos,
il fait viviers sur les rivières,
il fait corvées et prestations,
et obligations coutumières.

Jamais il ne mange de bon pain :
nous lui prenons le meilleur grain.
Et le plus beau et le plus sain,
Mais le mauvais reste au vilain.

S’il a oie grasse ou poulette ou
gâteau de blanche farine,
à son seigneur il le destine.

Bons morceaux jamais il ne tâte,
ni un oiseau, ni un rôti,
s’il a pain de noire farine
et lait et beurre, c’est son régal.

Etienne de Fougères, livre des manières ( XII eme siècle )

Six siècles plus tard, les vilains et manants deviennent citoyens libres et égaux en droits… Et avec beaucoup de temps et de sacrifices, propriétaires de leur terre.
La population de Vaunières est à son apogée dans la décennie 1840, 1850, neuf foyers et quarante neuf personnes sont recensées.
Puis, lentement et avec le XX eme siècle comme dans la majorité des campagnes françaises, arrive le déclin.
Vaincu par l’isolement, les deux guerres et une vision plus moderne de l’avenir, le hameau se meurt. En 1947, il n’y a plus que la famille Imbert au village. Deux enfants sont scolarisés et font à la belle saison quatorze kilomètres aller retour chaque jour de la semaine. L’hiver ils habitent à Saint Julien avec leur mère ; le père lui reste seul au hameau pour s’occuper du troupeau.
Poussés par l’espoir d’une vie moins rude, ils jettent l’éponge et s’en vont au début des années cinquante ; le village est rendu aux broussailles.

Par bonheur en 1964, un rebondissement inattendu et salutaire se produit : une association marseillaise : le village des jeunes, « né de la double volonté de faire revivre des lieux abandonnés en milieu rural et de permettre à des personnes d’origines sociales et culturelles diverses de se rencontrer autour d’une action utile » s’implante et freine par son action bénéfique les dégâts du temps.

Dix années plus tard, beaucoup de travaux ont été réalisés, mais la situation financière du village des jeunes ne cesse de se dégrader.
Heureusement, pour ne pas dire miraculeusement un formidable coup de pouce du destin va changer la donne et effacer comme par enchantement l’ardoise de l’association.

14 juillet 1976, un artisan et ses deux apprentis lui offrent une journée de travail et effectuent des raccordements sanitaires dans un bâtiment du centre du village.
Une pierre bossue empêche la pose d’un lavabo ! À grands coups de massette et au burin le plombier entreprend d’aplanir la partie gênante, mais renonce vu la dureté du
matériaux ; Il s’attaque aux joints plus friables… ça bouge…!
La pierre se descelle et tombe, entrainant dans sa chute de vieux chiffons et un objet métallique rouillé !
Une sonnaille de mouton pansue et cabossée dans laquelle se trouve emboité une autre plus petite ! En touchant le sol elles se séparent et déversent dans la poussière de nombreuse pièces de monnaie sales et ternes, quelle surprise…!
Le premier moment de stupéfaction passé, toute cette quincaillerie est ramassée et portée dans la salle commune et nettoyée à l’eau vinaigrée…
46 pièces semblent être en argent, 73 autres brillent d’un éclat bien particulier…
Elles sont en or !
Un véritable trésor !
Une date apparait sur l’une d’elles : 1598 !


Ce pactole sommeille dans l’épaisseur du mur, depuis plusieurs siècles…
Qui donc a pu choisir un tel coffre fort ?
Une légende, encore une, narre que deux chemineaux pourchassés avaient trouvé refuge à Vaunières ; le péril passé ils sont repartis vers Marseille où une épidémie de peste sévissait. Ils y furent embauchés par l’évêché pour mettre en terre les morts déposés à la va vite dans les rue de la ville.
Lors de leur séjour macabre de nombreux mourants leurs confièrent leurs économies avec la promesse de faire dire des des messes pour la paix de leur âme.
Une fois cet épisode douloureux passé, ils repartirent dans le petit hameau haut alpin, à la fois pour remercier leurs hôtes et aussi pour remplir leur engagement vis à vis des pestiférés.
Ils firent construire une chapelle, qui existe toujours, son linteau porte la date de 1682, et une maison… celle du trésor ; on suppose que le reste de leur fortune a été dissimulée au cours de sa construction.
Repartis sur les routes, ils ne sont jamais revenus !
Un fait bien réel, celui-là, corrobore cette hypothèse : des documents conservés par l’archevêché de Gap, font mention d’un don fait par deux chemineaux pour maintenir la présence d’un curé à Vaunières et celui ci semble y avoir résidé jusqu’à la révolution.
L’histoire parait crédible… vraie ou fausse… allez donc savoir !

Après une expertise numismatique sérieuse il s’est avéré que les pièces étaient de grande valeur :
18 écus de Charles VIII, Louis XII, Henri IV, frappés entre 1515 et 1547.
51 écus de monnaie espagnole de Charles Quint et Philippe II;
4 magnifiques écus de monnaie pontificale du pape Clément VIII, frappées à Avignon en 1598.

L’ensemble du trésor a été vendu aux enchères, les 7 et 8 novembre 1977 à Monte Carlo
Pour la somme totale de 210 000 francs, ( 32000 euros ) ; Déduction faite des taxes fiscales , il est resté 169 000 francs ( 25763 euros), partagés par moitié entre les trois découvreurs et l’association propriétaire des lieux.
Cette manne providentielle sauva sans doute le village une nouvelle fois de la désertification.

De nos jours, l’association village des jeunes poursuit son bonhomme de chemin, ses grandes idées altruistes : tolérance, hospitalité et solidarité continuent d’attirer les jeunes de toute classe sociales et de toute origines ; Grâce à elle Vaunières n’a pas eu le tragique destin de tant d’autres villages montagnards.
Que les pionniers de cette résurrection en soient remerciés.

Histoire du trésor, tirée de : Aux Sources de Vaunières, Henri Lorenzi, éditions Paul Tacussel, années 1992 et 1995.

septembre/octobre 2017/ Suite dans grandes histoires du Bochaine

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