Petites histoires du Bochaine

En guise de préambule : quatre précisions.

Bochaine, Biochana au moyen âge, vient du latin Biochium ou Biochum : Buëch ; l’orthographe francisée Beauchêne, bien qu’en usage est parfaitement inadaptée.

Une autre bizarrerie :

 Le Bochaine correspond à la haute vallée du grand Buëch dont par un découpage administratif surprenant a été détaché la commune sommitale de Lus la croix haute qui lui appartient indiscutablement sur le plan géographique et d’une manière encore plus évidente sur le plan économique, puisqu’elle n’est reliée avec son département la Drôme, que par le difficile col de Grimone, alors qu’elle a des liaisons extrêmement commodes par la route d’hiver des Alpes et par la voie ferrée, avec le département des Hautes Alpes.

Pierre Chauvet et Paul Pons : les Hautes Alpes huer aujourd’hui et demain, éditions Louis Jean Gap, année 1975.

Mon récit est ordonné au fil de l’eau et non de manière chronologique.

Vous trouverez une carte des lieux à la fin de petites et grandes histoires du Bochaine .

 

Le grand Buëch prend naissance sur la bordure ouest du massif du Dévoluy.
L’inextricable structure géologique de ce versant, d’une épaisseur de plus de mille métres, rejette plusieurs sources étagées sur différents niveaux.
La plus haute perchée, résurgence du petit lac du Lauzon, s’écoulant sur une forte pente sur près de quatre cents mètres de dénivelé, et celle de la Laicinette dans le ravin du Fleyrard peuvent être considérées comme les sources principales du grand Buëch.
C’est en ces lieux que commence la première histoire.

le petit lac vu de la tête du Lauzon

 

L’ascension

 

 

Dix aout 1880, sept heures quinze, quatre hommes atteignent l’oeil bleu de l’alpage.
Deux sont du pays, embauchés comme porteurs ; les autres, Henri Ferrand et un camarade montagnard de passage à Grenoble, sont venus pour gravir le sommet du grand Ferrand.
Henri souris malicieusement… Ferrand au grand Ferrand, en quelque sorte une excursion sur son domaine…
Ils sont arrivés à Lus la croix haute , hier, par le train et la toute nouvelle ligne ferroviaire du PLM Grenoble, Veynes inauguré deux ans plus tôt et ont dormi à l’auberge Armand.
Ce matin, partis de nuit, ils ont effectués les huit kilomètres de trajet jusqu’au terminus de la route carrossable à l’aide d’une carriole à cheval.
La lumière diaphane du matin inonde le vallon où ils se reposent et se restaurent, il fait doux, le ciel est sans nuages, idéal pour gravir cette belle pyramide calcaire des
Alpes du sud.
Vers huit heures trente, ils sont au col du Charnier, et mettent vraiment pied en Dévoluy.
Pour mieux apprécier la vue sur le vallon qu’ils viennent de remonter  en une demie heure ils se hissent sur la tête du Lauzon.
Henri Ferrand, fin érudit montagnard raconte :

 C’est en ce point que se rejoignent les trois départements dauphinois, et la légende rapporte qu’au commencement de ce siècle, les préfets de l’Isère, de la Drôme et des Hautes Alpes y déjeunèrent ensemble, assis chacun dans son département respectif.

La marche se poursuit, direction nord, toujours dans les mêmes éboulis sonores et monotones, parsemés de touffes de renoncules des glaciers, de saxifrages et de linaires ; ici, à part quelques rares chamois ou moutons égarés, il ne passe jamais personne.

Vers le sommet la pente se redresse et atteint enfin la crête de l’étoile.
Il continue le récit de leur progression :

 Ici, changement de décor ; nous nous trouvons en présence d’un coup d’oeil des plus pittoresque : le dernier sommet composé d’assises calcaires ruinées et désagréables, forme comme un immense escalier dans lequel sont taillés au hasard d’une fantaisie de cyclope des obélisque découronnés, des tours branlante et des abîmes effrayants.

Extraits de : Les Alpes et les grandes ascensions, E. Levasseur, librairie Delagrave,
Paris 1889.

À onze heures quarante ils sont au sommet et vont y passer deux heures absorbés par leur contemplation.
Leur descente s’effectue par le même itinéraire et trois heures et demi plus tard ils retrouvent le cheval reposé qui les emmènent au grand trot à travers bois et pâturages vers le village de Lus.
Une longue et belle journée en montagne.
Cette année là, Henri Ferrand avait vingt huit ans, avocat brillant, membre du club Alpin Français puis de la société des Touristes Dauphinois, il passa toute sa vie à sillonner les montagnes, à les photographier et à écrire des ouvrages à leur sujet.
Il s’est éteint à Grenoble le 26 mars 1926, à l’âge de soixante treize ans.

le grand Ferrand et côté gauche juste au dessus de la pointe de brume : tête du Lauzon

Au sortir du ravin du Fleyrard le torrent devient rivière, le petit village de la Jajatte surplombe son cours.
C’est là, au coeur de l’hiver quand la tempête a plâtré les aiguilles de Lus que le spectacle atteint le sublime : vision furtive de bout du monde, glace a tout les étages, forêt givré et fumées blafardes du hameau où bêtes et gens courbent l’échine sous la froidure !
En aval, le grand Buëch grossi du riou froid et du Lunel roule ses galet sur cinq kilomètres avant du franchir la limite du département de la Drôme et devenir haut alpin.
Deux kilomètres plus bas conflue rive droite un nouvel affluent sérieux : la Vaunierette.

La vallée noire

 

 

Dès le douzième siècle des moines y sont venus bûcheronner.
Après avoir essouché les terres conquises sur la forêt et mis les terrains en culture, il faudra plusieurs centaines d’années pour que cette terre en gestation s’organise et enfante finalement le hameau de Vaunières : vaux nière : vallée noire, probablement en raison de l’importance de son boisement.
Difficile de connaitre le détail de la vie des humbles métayers face à l’âpreté de la nature et de leurs maîtres…
Envers et contre tout, les caprices climatiques, la terre rétive, les maladies, les guerres, les bêtes sauvages, de nombreuses générations de forçats de la terre s’y sont incrustées et succédées.
Le poème qui suit illustre à merveille leur vie :

 

La vie misérable du paysan

Il a bien du travail et peine :
Au meilleur jour de la semaine,
il sème seigle, il herse avoine.
Il fauche prés,il tond la laine.

Il fait palissades et enclos,
il fait viviers sur les rivières,
il fait corvées et prestations,
et obligations coutumières.

Jamais il ne mange de bon pain :
nous lui prenons le meilleur grain.
Et le plus beau et le plus sain,
Mais le mauvais reste au vilain.

S’il a oie grasse ou poulette ou
gâteau de blanche farine,
à son seigneur il le destine.

Bons morceaux jamais il ne tâte,
ni un oiseau, ni un rôti,
s’il a pain de noire farine
et lait et beurre, c’est son régal.

Etienne de Fougères, livre des manières ( XII eme siècle )

 

Six siècles plus tard, les vilains et manants deviennent citoyens libres et égaux en droits… Et avec beaucoup de temps et de sacrifices, propriétaires de leur terre.
La population de Vaunières est à son apogée dans la décennie 1840, 1850, neuf foyers et quarante neuf personnes sont recensées.
Puis, lentement et avec le XX eme siècle comme dans la majorité des campagnes françaises, arrive le déclin.
Vaincu par l’isolement, les deux guerres et une vision plus moderne de l’avenir, le hameau se meurt. En 1947, il n’y a plus que la famille Imbert au village. Deux enfants sont scolarisés et font à la belle saison quatorze kilomètres aller retour chaque jour de la semaine. L’hiver ils habitent à Saint Julien avec leur mère ; le père lui reste seul au hameau pour s’occuper du troupeau.
Poussés par l’espoir d’une vie moins rude, ils jettent l’éponge et s’en vont au début des années cinquante ; le village est rendu aux broussailles.

Par bonheur en 1964, un rebondissement inattendu et salutaire se produit : une association marseillaise : le village des jeunes, « né de la double volonté de faire revivre des lieux abandonnés en milieu rural et de permettre à des personnes d’origines sociales et culturelles diverses de se rencontrer autour d’une action utile » s’implante et freine par son action bénéfique les dégâts du temps.

Dix années plus tard, beaucoup de travaux ont été réalisés, mais la situation financière du village des jeunes ne cesse de se dégrader.
Heureusement, pour ne pas dire miraculeusement un formidable coup de pouce du destin va changer la donne et effacer comme par enchantement l’ardoise de l’association.

la petite chapelle de Vaunières, sauvée in extrémis par l’association

14 juillet 1976, un artisan et ses deux apprentis lui offrent une journée de travail et effectuent des raccordements sanitaires dans un bâtiment du centre du village.
Une pierre bossue empêche la pose d’un lavabo ! À grands coups de massette et au burin le plombier entreprend d’aplanir la partie gênante, mais renonce vu la dureté du
matériaux ; Il s’attaque aux joints plus friables… ça bouge…!
La pierre se descelle et tombe, entrainant dans sa chute de vieux chiffons et un objet métallique rouillé !
Une sonnaille de mouton pansue et cabossée dans laquelle se trouve emboité une autre plus petite ! En touchant le sol elles se séparent et déversent dans la poussière de nombreuse pièces de monnaie sales et ternes, quelle surprise…!
Le premier moment de stupéfaction passé, toute cette quincaillerie est ramassée et portée dans la salle commune et nettoyée à l’eau vinaigrée…
46 pièces semblent être en argent, 73 autres brillent d’un éclat bien particulier…
Elles sont en or !
Un véritable trésor !
Une date apparait sur l’une d’elles : 1598 !


Ce pactole sommeille dans l’épaisseur du mur, depuis plusieurs siècles…
Qui donc a pu choisir un tel coffre fort ?
Une légende, encore une, narre que deux chemineaux pourchassés avaient trouvé refuge à Vaunières ; le péril passé ils sont repartis vers Marseille où une épidémie de peste sévissait. Ils y furent embauchés par l’évêché pour mettre en terre les morts déposés à la va vite dans les rue de la ville.
Lors de leur séjour macabre de nombreux mourants leurs confièrent leurs économies avec la promesse de faire dire des des messes pour la paix de leur âme.
Une fois cet épisode douloureux passé, ils repartirent dans le petit hameau haut alpin, à la fois pour remercier leurs hôtes et aussi pour remplir leur engagement vis à vis des pestiférés.
Ils firent construire une chapelle, qui existe toujours, son linteau porte la date de 1682, et une maison… celle du trésor ; on suppose que le reste de leur fortune a été dissimulée au cours de sa construction.
Repartis sur les routes, ils ne sont jamais revenus !
Un fait bien réel, celui-là, corrobore cette hypothèse : des documents conservés par l’archevêché de Gap, font mention d’un don fait par deux chemineaux pour maintenir la présence d’un curé à Vaunières et celui ci semble y avoir résidé jusqu’à la révolution.
L’histoire parait crédible… vraie ou fausse… allez donc savoir !

le val de Vaunières et le sommet de Durbonas

Après une expertise numismatique sérieuse il s’est avéré que les pièces étaient de grande valeur :
18 écus de Charles VIII, Louis XII, Henri IV, frappés entre 1515 et 1547.
51 écus de monnaie espagnole de Charles Quint et Philippe II;
4 magnifiques écus de monnaie pontificale du pape Clément VIII, frappées à Avignon en 1598.

L’ensemble du trésor a été vendu aux enchères, les 7 et 8 novembre 1977 à Monte Carlo
Pour la somme totale de 210 000 francs, ( 32000 euros ) ; Déduction faite des taxes fiscales , il est resté 169 000 francs ( 25763 euros), partagés par moitié entre les trois découvreurs et l’association propriétaire des lieux.
Cette manne providentielle sauva sans doute le village une nouvelle fois de la désertification.

De nos jours, l’association village des jeunes poursuit son bonhomme de chemin, ses grandes idées altruistes : tolérance, hospitalité et solidarité continuent d’attirer les jeunes de toute classe sociales et de toute origines ; Grâce à elle Vaunières n’a pas eu le tragique destin de tant d’autres villages montagnards.
Que les pionniers de cette résurrection en soient remerciés.

Histoire du trésor, tirée de : Aux Sources de Vaunières, Henri Lorenzi, éditions Paul Tacussel, années 1992 et 1995.

 

septembre/octobre 2017/ Suite dans grandes histoires du Bochaine

Grandes histoires du Bochaine

 

Le cours libre et impétueux du grand Buëch a très longtemps servi au transport du bois forestier, par flottage.
Coupés, débardées et stockées jusqu’à ses rives les grumes de sapins et mélèzes étaient assemblé en radeaux et descendues jusqu’à Sisteron, puis plus tard sur la Durance jusqu’aux rives de la Méditerranée.
Cette activité hautement dangereuse fut émaillée de nombreuses catastrophes, comme celle que relate un procès verbal de juillet 1785 qui raconte en vieux français, un dramatique accident un peu plus en aval, à Serres, qui fit trois morts par noyade :

Le 23 mai dernier, la rivière Buëch étant extraordinairement gonflée à la suite de la fonte des neiges et d’une forte pluie qui avoit duré trois jours, un radeau conduit par quatre provençaux se sépara au dessous du confluent des rivières de Veynes et d’Aspremont qui forment le gros Buëch ; trois des conducteurs furent emportés par les eaux ; le quatrième resta sur le Buëch se tenant à deux poutres arrêtées par un rocher…Le curé, juge, châtelains, échevins, officiers municipaux et notables de la ville, avertis se transportèrent sur le bord de la rivière pour donner du secours à cet infortuné.En unissant leurs soins et leurs efforts ils ramenèrent non sans peine au rivage le radelier, lequel avait passé quatre heures dans l’eau, et lui sauvèrent la vie…Ensuite l’un deux, côtoyant la rivière chercha les infortunés compagnons de celui qu’il venait de délivrer ; il ne trouva que leurs corps sur lesquels il employa inutilement les moyens usités pour rappeler les noyés à la vie.

Le radelage cessa totalement à la fin du dix neuvième ; après avoir emprunté pendant des siècles le chemin de l’eau, le bois d’œuvre fut désormais acheminé par le chemin de fer tout nouvellement installé dans la vallée.
Fin d’un métier à risques et… d’une époque.
Continuons notre descente du grand Buëch.
Après le pont des Oches, lieu de confluence de la Vauniérette, il reste un peu plus d’un kilomètre pour atteindre Saint Julien en Bochaine, village cher à Jean Giono.
Voilà ce qu’il en dit lors d’un de ses séjours :

 Depuis longtemps je viens dans ce maigre village de montagne ; il est aux confins de ma terre ; il est aux lisières des monts, assiégé de renards,de sangliers, de forêts et d’eau glacée. De hauts pâturages dorment au milieu des nuages ; le ciel coule et s’en va sous le vent ; il ne reste là-haut que le vide gris et les vols d’aigles silencieux comme le passage des ombres. La solitude et la pitié 1932.

                                                     Saint Julien en Bochaine le 5 juillet 2008

Au sortir du bourg le grand Buëch reçoit Bouriane.
Torrent où ruisseau en période d’étiage, il prend sa source dans les pentes nord-ouest de la montagne de Durbonas et s’insinue sous le couvert d’un vallon improbable, dissimulé par une étroite cluse de calcaire.
C’est en ce lieu reculé que des religieux venus de l’Isère se sont implanté et vécus pendant près de sept siècle.

 

                                                               La chartreuse de Durbon

 

 

Après l’an mile, au sein de la chrétienté, la mode est à l’érémitisme.
L’ordre de Saint Bruno bien implanté au cœur du massif de la Chartreuse essaime de toute part ; dans la seule et même année 1116, quatre sites sont colonisés : les Ecouges dans le Vercors, Méyriat dans l’Ain, Sylve bénite dans l’Isère et Durbon en Bochaine.
Cette année là, cognées et houes à l’épaule un groupe de moines conduits par un ermite nommé dom Lazare quitte la Chartreuse, traverse le Triève, franchit le col de Lus la croix haute, arrive en Bochaine à Saint Julien et s’installe dans le val de Bouriane au lieu dit, l’estrech, les étroits. (c’est du moins hypothèse qu’émettent les historiens)
L’époque de leur arrivée et leur nombre restent des inconnues.
Leur domaine initial provient d’une première donation de quelques habitants du haut Buëch, et a été encouragée et approuvée par Laugier II (ou Léger II ?), l’évêque de Gap.
Les limites en sont grossièrement définies, par les cols et crêtes montagneuses surplombant la combe, peu de terres arables et beaucoup de forêt.
Face à la nature omniprésente et quasiment intacte du lieu, on imagine les difficultés de leur établissement avant un premier hivernage, néanmoins cinq années plus tard, en grande procession, une première chapelle est inaugurée au plus haut du vallon et consacrée par le même évêque haut alpin.
Dans ce creux de forêt l’emplacement est parfait pour mener une vie contemplative, à l’écart du monde ; Au fil des ans et des siècles cet embryon de monastère va se développer, et devenir un vaste et harmonieux ensemble de Bâtiments capable à la fois de célébrer le culte mais aussi d’héberger la communauté religieuse.

               croix pattée sur un soubassement du monastère

Les effectifs des moines ont été très fluctuants. ( * voir en fin de billet)
Les pères*(1) ne dépasseront jamais la quinzaine.
Les frères*(2), moins d’une douzaine.
Des domestiques, boulanger, cuisinier, cordonnier, jardinier et d’autres encore : une dizaine.
Au cours des six cent soixante quinze années de l’existence du monastère se sont succédé 146 prieurs*(3). Le premier, dom Lazare, le fondateur, l’a été 29 ans.
Le dernier, dom Bonaventure Eymin, 2 ans seulement, jusqu’en 1791.
Comme toutes les chartreuses, Durbon vit en autarcie, de ses revenus, et d’eux seuls.

L’existence de la chartreuse n’a pas toujours été  » un long fleuve tranquille », de nombreux événements sont venus déstabiliser l’édifice.
Le problème le plus récurent provient des limites incertaines de leur domaine et a suscité de très nombreuses querelles.
Une animosité manifeste s’est installée entre moines et paysans de la vallée à propos de terrains qu’ils revendiquent et des droits de bûcherage et de pâturages qui en y sont liés. Certaine fois la crise a dégénéré et les belligérants en sont même venu aux mains ; Il semble même qu’en 1404 l’église fut brûlée par pure méchanceté !
Du côté de Lus la croix haute c’est pareil mais cette fois avec les chevaliers de l’ordre du temple qui revendiquent les alpages de Chamousset et de la Jarjatte ; des procès s’éternisent et dégradent les relations.
Pour les mêmes motifs, des adversaires assez inattendues : les moniales de Bertaud, autre colonie chartreusine implantée au pied du Pic de Bure, ont des terres limitrophes et souvent des altercations se produisent entre les bergers des deux camps.
Ces conflits durent plusieurs décennies et rebondissent de temps à autre !

 

Proie facile pour les bandes armées de brigands et d’hommes de main des seigneurs locaux le monastère a subi de nombreux saccages, pillages et vols de bétail au cours des siècles, en particulier lors des guerres de religions.

Enfin, les dégâts du temps ne l’ont pas épargné, plusieurs fois des bâtiment ont menacé ruine et ont été sauvés in extremis avec l’aide de la charité diocésaine.

Au fil du temps l’espace occupé par les chartreux ne cesse de s’agrandir.
Les douzième et treizième siècles sont caractérisés par l’extrême morcellement de la propriété foncière et ce fait va les favoriser.
En raison de leur peu de valeur beaucoup de petits propriétaires sous prétexte de racheter leurs fautes ou pour se faire une place enviable au paradis font don de leurs terres ou les vendent à vil prix :

 Deux systèmes monétaires seulement avaient cours au XII eme siècle dans les Alpes : la monnaie viennoise et la monnaie valentinoise et il était souvent stipulé que le payement se ferait en bonne monnaie, integra moneta Viennentis, de marii probati Valentinienses. Cependant dans bien des cas le payement se faisait en nature ou par voie d’échange : un vendeur reçoit un habit et un cheval, un autre cinq sous et une tunique, un troisième la valeur de cinq sous en peaux de moutons, de la toile pour faire des vêtements, tela ad vestes, un fromage et même un demi fromage.
Joseph Roman, le Cartulaire de Durbon.

Il y eu plus de mille vendeurs ou donateurs à cette époque là.
En 1446 le monastère de Bertaud, déjà cité, est la proie des flammes pour la deuxième fois ; il ne sera pas reconstruit et ses biens viendront s’ajouter quelque temps plus tard, aux possessions de Durbon.
Les moniales ruinées seront transférées provisoirement dans la maison basse, au lieu dit l’éstrech, l’étroit, en 1453, puis par la suite dans un bâtiment à l’écart et dominant la Chartreuse.

Seizième siècle, sous François premier et et Henri IV.
le monastère est devenu un énorme domaine, trente kilomètres d’un seul tenant, de Vaunières à Chaudun, de forêts, d’alpages, et de terres agricoles .
Les moines paradoxalement à leur vœux de pauvreté se révèlent être de redoutables hommes d’affaires, aux ressources extrêmement diversifiées :
Les terres fertiles sont affermés.
Ils font exploiter leurs forêts, possèdent plusieurs seytes (scie à eau) et vendent ou troquent charpente, planches et madriers.
Leurs alpages sont loués et pâturés pour la saison par d’immenses troupeaux d’ovins venant du midi et s’ajoutant à leurs propre bétail. Ils pratiquent pour une partie de leur cheptel à la transhumance inverse, c’est à dire que leurs moutons à l’automne descendent vers le sud avec les troupeaux provençaux.
Ils possèdent des vignes à Aspres sur Buëch et Ventavon, ce domaine étant une ancienne possession des chartreusines de Bertaud.
Le commerce du sel fait aussi partie de leurs activités, leurs salines de Hières dans le Var, fournissent la matière première qu’ils transportent par charroi annuel, par un itinéraire choisi, bénéficiant d’exemption de droits de péages.

Au dix septième, les moines se lancent dans l’aventure métallurgique, il font prospecter la région, trouvent et exploitent le minerais de fer qui est fondu, puis battu à l’aide de plusieurs martinets à eau ; Une mine achetée dans le Triève près de Mens complète l’approvisionnement.
Enfin le 9 avril 1647 les chartreux achètent le grand lac de Luc en Diois avec ses droits de pêche, probablement pour avoir une source d’approvisionnement en poissons qu’ils consomment en grande quantité.
Cette acquisition est une mauvaise affaire , un grand nombre de procès avec les seigneurs riverains va en découler et elle sera fortement déficitaire. ( Les lacs en question formés lors de l’éboulement du pic de Luc dans le lit de la Drôme n’existent plus de nos jours puisqu’ils ont été asséchés au siècle suivant)
La chartreuse est riche, mais les dépenses pour entretenir son patrimoine mobilier sont énormes et y suffisent à peine !
Ce siècle, le Grand Siècle, celui de Louis XIII et Louis XIV ! sera une période de calme et le monastère à son apogée.

La Chartreuse : d’après certains historiens, cette peinture du dix septième siècle ne serait qu’un plan de travaux projetés. Des bâtiments n’ont peut-être jamais été construits, seuls des sondages archéologiques rigoureux pourraient dissiper le doute.

Sept cent soixante quatorze documents ont traversées les siècles, les guerres, la révolution : ils sont conservées aux archives départementales de la ville de Gap.
Le cartulaire de Durbon en représente à lui seul 250. Le chanoine Paul Guillaume les publie en 1893 et il écrit qu’en réalité il s’agit de 315 actes ou numéros de l’an 1116, à l’an 1216.
Sa rédaction est en latin et en dans une moindre mesure dans la langue vernaculaire de l’époque.
Recueil d’actes de ventes, de donations, de privilèges concédés par les autorités religieuses ou féodales, il contient de précieux renseignements sur la topographie locale, les poids et mesures les usages locaux, les institution, les personnes et les biens.
Les autres documents ne sont probablement pas encore tous exploités…
La bibliothèque de la chartreuse était riche de mille deux cent volumes, plusieurs inventaires en ont été fait à différentes époques mais il est bien difficile de s’y retrouver !
De nombreux tableaux décoraient le monastères, l’un deux, chartreux dans une grotte est conservé en l’église de Serres, deux autres : l’assomption de la vierge, peint par Philippe de Champaigne en 1671, et la vierge à l’enfant endormi de Fancesco Trévisiani, sont classés monuments historiques et visibles en l’église de Saint Julien.

l’Assomption de la vierge, Philippe de Champeigne, 1671

1789
Date fatidique.
Par les décrets du 11 août et du 2 novembre, l’assemblée constituante supprime les dîmes et nationalise les biens de l’église.
A Durbon, il reste quinze ermites : onze pères, les frères sont quatre, deux convers* et deux donnés*, et il faut y ajouter quatre domestiques.
Tous connaissent les événements qui viennent de se produire et savent qu’ils vont profondément bouleverser leur existence , néanmoins leur vie monastique continue cahin-caha jusqu’au printemps de l’année suivante.
Mai 1790, le maire et quelques conseillers municipaux de la toute nouvelle municipalité de Saint Julien se présentent pour réaliser un inventaire des biens de la communauté et pour obtenir une déclaration des religieux en vue de leur départ.
Sombre jour !
Déstabilisés, la mort dans l’âme, les premiers moines quittent les lieux fin juillet, les autres vont suivre rapidement, le dernier, le prieur, don Bonaventure Eymin, sera expulsé le dix mai 1791.
Le monastère désormais vide d’occupants va vivre ses pires instants.
Après sept siècles d’hégémonie, l’heure de la revanche arrive et la population locale s’en donne à cœur joie en se livrant à un pillage en règle ! Tout est dévalisé  : livres, meubles, tentures, candélabres !
Pour finir la curée, en juillet 1792 vient la vente aux enchère qui va s’étaler sur quatre jours, parquets, lambris, boiseries, portes, fenêtres et charpentes disparaissent.
Une purge mortelle pour la chartreuse puisque les bâtiments dépourvus de couverture vont être livrés aux éléments.
Enfin à fin de parachever le démantèlement, c’est le tour des terres,qui sont vendues au plus offrant et dispersées entre de multiples acheteurs.
Les forêts deviennent biens nationaux.
L’ensemble du monastère à l’intérieur de son enceinte, est vendu au citoyen Étienne Lachau le 19 frimaire de l’an IV, 10 décembre 1795.

Les révolutions sont destructrices…

La fin tragique de la chartreuse laisse un goût amer.
Les moines de Bouriane, modèles de foi chrétienne, fers de lance de l’économie locale, ne méritaient pas pareille descente aux enfers.
Leur souvenir sera éternellement lié à la vallée.

                                      Dessin, deuxième moitié du dix neuvième siècle montrant la ruine du monastère

(*)

L’ordre des chartreux est un ordre religieux contemplatif.
(1)Les pères, tous prêtres, dorment, mangent, travaillent, prient seuls dans le silence de leur cellule.
Ils se regroupent pour des offices chantés, environ toutes les deux heures le jour plus matines et laudes en milieu de nuit. Le dimanche le repas et une promenade hebdomadaire sont communes. Ils portent une robe de drap blanc serrée par une ceinture de cuir et un scapulaire avec capuche de même drap, la cuculle.
(2)Les frères, tous laïcs, sont chargés des tâches manuelles, ils sont de deux catégories :
Les frères convers qui ont un engagement monastique et assistent à tous les offices religieux de la communauté, ils portent tous la barbe.
Les frères donnés eux n’ont pas fait de vœux et sont moins astreints aux jeune et aux levers de nuit.
(3)Le prieur est l’autorité supérieure…après dieu . Le vicaire son conseiller le remplace lorsqu’il s’absente.
Le procureur est chargé des finances et de la gestion des frères et des domestiques.

Globe crucifère symbole de Chartreux

 

 

Bibliographie :

Le cartulaire de Durbon, Joseph Roman, 189 ?
Chartes de Durbon, abbé Paul Guillaume, 1893.
Monastères de Durbon et de Bertaux, M. Charronnet.
L’ordre des chartreux dans le diocèse de Gap, Pierre Jacques Leseigneur, éditeur.
Analecta Cartusiana, Salzburg, autriche, 2004.
De Bure à Chaudun en passant par Rabou, Francis Escalle, édition Louis Jean, 1992.

 

Retour à la vallée du grand Buëch.
Belle rivière, mais ô combien différent de ce qu’elle a été !
Depuis le moyen âge, la rebelle, libre et sauvage a été assagie, endiguée, domptée afin de préserver les villages et les cultures ; son cours en tresses si caractéristique subsiste, mais avec une emprise considérablement réduite au cours des siècles.
La nouvelle donne climatique elle aussi calme ses ardeurs. Les hivers plus doux, peu enneigés n’engendrent plus les énormes avalanches et névés qui garnissaient jusqu’au milieu de l’été, les combes et ravins du versant ouest Dévoluy, la régulation bénéfique qu’ils apportaient jusqu’au cœur de l’été, fait maintenant cruellement défaut au Buëch naissant.
Comme partout dans le sud, les jours arrosés sont moins nombreux et surtout moins généreux ; malgré quelque rares épisodes pluvieux intenses et générateurs de crues spectaculaires les déficit hydriques se creusent, s’accumulent et conduisent l’été, à de longs étiages dévastateur pour la faune piscicole.
Les belles farios de souche se raréfient, et ont été remplacées… le temps des lâchers, par les truite arc en ciel d’élevage, avec lesquelles parfois elles s’hybrident.
Les populations de blageons, de chevaines, de vandoises et de barbeaux qui étaient si nombreuses il y a quelques dizaines d’années, sont en constante diminution.
En conséquence, exit les martins pêcheurs,loutres et écrevisses qui peuplaient la rivière ; Une bonne nouvelle cependant, le castor semble revenir en aval.
La qualité de l’eau, quand à elle semble correcte à part les plus bas de l’été qui souffrent des nitrates et se garnissent d’algues vertes ou brunes !

 

Le rif d’Agnielles*(1), dernier affluent qui nous intéresse se trouve neuf kilomètres en aval de Saint Julien, vif et capricieux il provient lui aussi de la montagne de Durbonas, mais cette fois sur le versant sud est.
Dans son dernier élan, il galope de cascades en vasques sur un peu plus d’un kilomètre dans les gorges encaissées qu’il a creusé et qui sont sont le paradis des spéléologues locaux.
Une des grottes a une histoire particulière et s’appelle :

 

                                                                              La tyrolienne

 

 

Vous allez penser : quel drôle de nom pour une grotte de la vallée d’Agnielles !?
Je vais vous expliquer :
Quand nous l’avons découvert en mai 1970, et oui, je faisais partie des inventeurs, le torrent en forte crue était dangereux !
Pour le franchir en toute sécurité et sans nous mouiller les pieds nous avons installé une corde tendu entre deux arbres : une tyrolienne.
La grotte a prit ce nom là.
L’année d’avant, l’un d’entre nous, lors d’une prospection sur l’autre versant, avait remarqué un bouquet d’arbres à flanc de falaise semblant masquer la noirceur d’une entrée de caverne.
Le site est bien défendu, après le torrent vient la remontée d’une pente raide de courtes barres calcaires garnies de buis centenaires, il faut-être un peu sanglier pour s’y déplacer… puis dernier obstacle, et pas le moindre, une strate tithonique*(2), de six mètres verticale et lisse. Le meilleur grimpeur d’entre nous, après quelques essais infructueux, fini par en triompher et atteinte radieux la vire facile qui conduit à l’entrée.Pour les trois autres, c’est beaucoup plus facile, une corde ancrée sur un petit pin
enchâssé dans le roc, et quelques mètres de tire bras suffisent pour surmonter facilement l’obstacle.
Sur une plate forme pentue garnie de chênes et de buis s’ouvre le porche imposant de la caverne ; la porte du mystère !

                                                                                           topographie grotte de la Tyrolienne, 1971, (spéléo club Voconcien de Serres)

L’entrée est large et lumineuse, le sol sableux et plat ; un couloir de même dimensions s’enfonce plus avant.
L’excitation est à son comble mais est vite tempéré, au bout de quarante cinq mètres de galerie, le plafond rocheux rejoint le sol.
C’est déjà la fin… !
Nous furetons de-ci de-là, éclairons les recoins obscurs, nous devons nous rendre à l’évidence la grotte s’arrête là par un bouchon d’alluvions sableuses.
Incroyable… !
Déçus, nous regagnons l’entrée.
Les rayons de soleil obliques de ce milieu d’après-midi offrent un éclairage rasant à son plancher terreux garni de feuilles sèches et de brindilles, près de la paroi , un objet noirci attire notre attention : un tesson de poterie !
Nous grattons superficiellement tout autour… un autre ! Puis encore d’autres… Très vite nous comprenons que la découverte est sérieuse…Il y a bien longtemps, à une époque indéterminée, d’autres hommes ont foulé ce sol et vécu en ce lieu…
Quelle émotion !
Leur présence nous frôle et nous envoûte…

Le moment de surprise passé, malgré l’envie tenace d’en savoir plus, nous décidons d’un commun accord, de renoncer à entreprendre un sondage plus approfondi de peur de dégrader le gisement.
Retour dans la vallée.
Vu d’en bas, l’abri est vraiment un site de vie parfait, dominant, inaccessible sans équipement, une véritable aire d’aigles.
Une question nous obsède, comment les occupants pouvait-ils accéder au site… à l’aide d’échelles primitives… par un cheminement maintenant éboulé… par un accès supérieur… ?
Pas de réponse satisfaisante !

Un an plus tard.
Nous nous sommes renseignés et avons confié notre découverte à un éminent spécialiste : Jean Hulysse de la société d’études des Hautes Alpes, chapeauté par la Direction des antiquités de Provence .
Les premières fouilles sont entreprises et bien naturellement nous y avons été conviés et nous avons quelques fois participé.
Le gisement s’est avéré très riche et ancien :

 La grotte a servi longtemps d’habitat à l’homme et en simplifiant on peut considérer qu’il y a eu deux périodes d’occupation :
Le premier temps semble caractériser une civilisation de type Chasséen*(3).
Il s’agit de la période moyenne du Néolithique*(4) (ou âge de la pierre polie).
Elle correspond à une période de – 2500 ans avant Jésus Christ.
Le second temps d’occupation semble se situer à l’âge du fer, dans l’Hallstatt.*(5),  période protohistorique*(6)  – 650 ans avant Jésus Christ.
Entre ses deux phases d’occupation la stratigraphie ne permet pas d’affirmer un habitat même temporaire.

La qualité du matériel archéologique recueilli autour des foyers est riche d’enseignement.
Les poteries sont :

 grossières et modelées à la main. Ces jarres ou pots sont caractérisés par des éléments de suspension percés verticalement et où l’on plaçait une cordelette.
On a aussi des coupelles à offrandes ou cassolettes à parfum caractéristiques de cette civilisation  (Chasséen)

Le matériel lithique*(7) est lui aussi abondant, 150 éléments, des faucilles, pointes de flèches, couteaux, pointes de lances, racloirs, perçoirs, pour la majorité en silex.
Il a été découvert aussi une navette et un contre poids de métier à tisser, ce qui prouve que ces peuplades étaient vêtus de vêtements tissés.

Pour ce qui est de leur habitudes de vie, quelques éléments :

Les hommes de cette époque aimaient à se parer de pendentifs faits en particulier avec des coquillages ou des perles. A Agnielle, on trouve un très beau pendentif en serpentine au niveau inférieur et des perles d’ambre au niveau supérieur. Ces dernières venues de la baltique, indiquent des échanges importants bien qu’indirects entre les autochtones et les populations du nord et du nord est de l’Europe.
On peut aussi, grâce aux ossements découverts, retrouver les conditions de nutrition de ces habitants.Si la chasse restait importante,(bois de cerf et cheval), ils pratiquaient déjà l’élevage soit de porcs, soit d’ovicaprinés (chèvres et moutons). Ces animaux étaient tués et mangés jeunes. Ces données sont retrouvées grâce aux dents et aux os longs de structure particulière chez les animaux jeunes.
Extraits du rapport de fouille, Jean Hulysse, année 1972.

                                                                                                                                  Gorges du val d’Agnielles

Ces deux époques : Chasséen et hallstatt, sont à la charnières de la préhistoire et de l’histoire.
La première est caractérisée par l’essor spectaculaire du peuplement, les progrès de l’agriculture et de l’élevage , et la seconde par la maîtrise du minerais de fer et la révolution technique et culturelle qui en découle.
Les occupants de la Tyrolienne n’étaient pas esseulés. D’autres sites existent en Bochaine, dont un (1 km, à vol d’oiseau) à la sortie des gorges du rif : la grotte de l’ours, et un abri sous roche, halte de chasse, proche de Lus la croix haute : l’abri des Corréardes (13 kms, a.v.o.). Les deux ont été fouillées et les époques d’habitation sont identiques. Enfin un troisième lieu, cette fois dans la Drôme, à la limite des Hautes Alpes : la tune de Varaime, (15 kms, a.v.o.) abrite des gravures naïves d’art schématique linéaire, et a été elle aussi fréquentée à plusieurs époques, néolithique, âges du bronze et du fer, puis a servi ensuite de bergerie naturelle jusqu’au moyen âge.
Les hommes et femmes, occupant ces sites au cours des quatre millénaires du néolithique, sont les premiers acteurs connus de la colonisation du Bochaine .
Des pareils à nous même, à la vie courte et aux besoins essentiels : s’abriter, se nourrir, se protéger des bêtes sauvages et des agressions humaines.
Chasse et pêche comptaient encore beaucoup dans leur alimentation.
Ils vénéraient les composantes de la nature, les arbres, les sources, le ciel, les animaux mais ils s’en éloignent petit à petit en les domestiquant et en s’inventant de nouveaux dieux indépendants des forces naturelles.
Leur population devait-être faible, et leur degré de civilisation beaucoup plus avancé qu’on ne le pense…Cette dernière supposition s’appuyant sur l’histoire extraordinaire mais bien réelle d’Otzi*(8) ce néolithique retrouvé momifié dans un glacier des Alpes du Tyrol ; de nombreuse surprises concernant son équipement, son habillement, ses armes, son âge, son état de santé ont stupéfait les préhistoriens et ont remis en question les connaissances précédemment acquises.
Les clans de la vallée du Buëch étaient très probablement de même niveau.

peu après la fin du néolithique viennent d’Eurasie des invasions pré-celtiques et Celtiques. Un brassage, métissage s’en suit.
Ces nouvelles générations sont celles de la métallurgie naissante ; le cuivre, le bronze puis le fer font des outils plus efficaces qui profitent à l’agriculture et hélas aussi aux guerres fratricides !
La culture de l’escourgeon, et de l’amidonnier*(9), s’intensifie, produit une nourriture plus nutritive et abondante qui favorise une nouvelle croissance démographique des peuplades.
Les siècles qui suivent voient se réaliser la fusion de nombreux peuples et ethnies : la naissance du peuple Gaulois qui restera sous influence romaine pendant près de cinq siècles.
Régionalement une entité culturelle et économique, entre Isère et Durance est occupée par le peuple Voconces*,(10), nos ancêtres préalpins.
Certains d’eux, les derniers de l’âge du fer, ont probablement encore vécu dans la grotte de la Tylolienne.

Depuis ces temps reculés, la vallée du rif d’Agnielles est restée dans son état originel : gorges, falaises, torrent, buis, pins hauts perchés, fond un paysage intemporel, où il ne manque à l’appel qu’une famille de néolithiques affairée à ses occupations…
Le regard obscur de la Tyrolienne continue de surveiller inlassablement son univers de calcaire et d’eau vive, après l’agitation des années 70, elle a retrouvé son silence et son isolement ; par son emplacement exceptionnel, la quantité et la diversité de son gisement, elle occupe une place incontournable dans la préhistoire du département alpin.
Seules les grottes de Sigottier*(11), fouillées par David Martin*(12) en 1890, ont le privilège d’avoir abrité un habitat plus anciens, à l’époque Solutréenne*(13), 10 ou 15000 ans plus tôt.

 

Le grand Buëch coule nord-ouest, sud-est.
Peu après le débouché du rif d’Agnielles, la rivière serpente pour franchir une cluse garnie de falaises ocres trouées de baumes*(14).
Après ce dernier rétrécissement de la vallée, arrive le pont la Dame, la porte de sortie du Bochaine. ( même si administrativement la région s’arrête huit kilomètres en aval, au village d’Aspremont).
Au sud, la vallée s’ouvre et s’éclaire, chênes pubescents, pins, genévriers cohabitent dans un joyeux désordre, lavandes et genets embaument et garnissent les collines, annonçant l’imminence des Baronnies provençales.

Depuis la réalisation de la ligne de chemin de fer Grenoble, Veynes,en 1878, l’épée de Damoclès du progrès a miraculeusement épargné la région. La dernière menace, pas si lointaine, concerne l’interminable polémique au sujet de la construction d’une autoroute devant traverser la vallée mais qui par bonheur semble avoir changé de tracé ou avoir tout simplement été repoussée aux calendes grecques !
Un nouveau péril, encore plus dévastateur d’environnement, annonce de mauvais jours en Bochaine…
Le petit hameau de Montama sur les hauteurs de St Julien a retenu l’attention de Boralex une société canadienne spécialiste des énergies renouvelables.
L’étude d’un parc éolien de six ou huit machines est en cours avec tout ce qu’il comporte, déboisement, implantation des pylônes ancrés sur des socles de béton de 1500 tonnes, voies d’accès suffisamment larges pour d’acheminer des convois de grande longueur, tranchées pour les lignes électriques, postes de transformation, bref une calamité dont ce passerai très bien la vallée…
Le projet divise la population qui redoute les nuisances inévitables de ces géantes d’acier de 135 mètres, qui vont ravager a faune, la flore, empoisonner la vie des autochtones et déclencher l’ire des passionnés de nature.
L’omniprésence de ces ronflantes machines, visibles de toutes part et même depuis le sommet du Ventoux , soixante kilomètres plus au sud, sera à n’en pas douter une souillure indélébile du paysage.
L’avenir de la région s’assombrit d’autant plus que d’autres sites de construction sont prévus dans les communes limitrophes ( Montbrand, la haute Beaume ) et aussi plus au sud, dans les Baronnies, destinant la vallée du Buëch à devenir le plus important territoire producteur éolien de la région !

                                                             Projet de parc éolien du haut Buëch…

C’est sur cette perspective affligeante que se termine Histoires du Bochaine.
Les personnages des quatre épisodes, le montagnard Henri Ferrand, le père Imbert de Vaunières, les Chartreux de Bouriane, les Néolithiques de la Tyrolienne s’agitent dans leur passé en découvrant la destinée funeste que l’on réserve au beau pays qu’ils aimaient !
Pour le moment rien n’est décidé, le projet mijote dans le chaudron glauque du pouvoir… l’opposition s’organise*(15)…l’incertitude s’installe…
La raison l’emportera-t-elle sur le profit ?
Rien n’est moins sûr !

(*)

(1)- Agnielles : petit hameau qui a subi lui aussi l’exode de ses habitants en 1933 et mériterait à lui seul un nouveau chapitre de l’histoire du Bochaine.
(2)- Tithonique : étage stratigraphique du calcaire.
(3)- Chasséen : néolithique moyen.
(4)- Néolithique : période de la préhistoire, de – 6000 à – 2000 avant JC.
(5)- Hallstatt : âge du fer, de -800 à – 50
(6)- protohistoire : période comprise entre préhistoire et histoire.
(7)- lithique : industrie préhistorique de la pierre.
(8)- Otzi : l’homme des glaces, momie de 5300 ans retrouvée en 1991 sur la frontière entre l’Italie et l’Autriche, massif de l’Ötztal, près du col de Similaun.
(9)- Escourgeon et amidonnier : orge et blé ancien à faible rendement.
(10)- Voconces : peuple gaulois des pré-alpes.
(11)- Sigottier : petite localité du Buëch, 20 kms au sud du Bochaine.
(12)- David Martin : 1824/1918, professeur, archéologue, botaniste, fondateur et premier conservateur du musée départemental de Gap.
(13)- Solutéen : période préhistorique, de -15000 à -22000 caractérisée par l’extraordinaire finesse de la taille du silex.
(14)- Baumes : grottes
(15)-Haut Buëch nature : http://hautbuechnature.blogspot.fr/

Bibliographie : rapport de fouille, Jean Hulysse, société d’étude des Hautes Alpes,1972 et spéléo club Voconcien de Serres.
Otzi la momie des glaces, Françoise Rey, édition Glénat 1994.

septembre/octobre 2017